JERÔME DUVAL

Journaliste

Wednesday, 22 January 2025

Reflets.info interdit d’informer

Reflets.info interdit d’informer

Le patron du groupe Altice, propriétaire de BFM-TV et RMC, obtient de la justice qu’un site indépendant ne puisse plus exploiter une fuite de documents le concernant.

Il devient de plus en plus difficile d’informer sur des milliardaires ou leurs entreprises sans être poursuivi en justice. Les procédures bâillons se multiplient, Le Courrier en sait quelque chose. Cette fois, c’est au nom du «secret des affaires» qu’une grande entreprise privée franco-luxembourgeoise a obtenu l’interdiction pour un média indépendant de publier des informations d’intérêt public. Il s’agit du journal en ligne d’investigation Reflets.info, poursuivi en France par la multinationale Altice, le groupe de Patrick Drahi, propriétaire de l’opérateur télécoms SFR et des médias BFM-TV et RMC.

Au nom du secret des affaires, Altice réclamait la suppression de trois articles relatant les dépenses colossales de son patron, Patrick Drahi, encouragées par l’optimisation fiscale. Des informations sensibles relatant le train de vie du milliardaire, entre jets privés, voitures de luxe et yachts d’exception, extraites des serveurs d’Altice par le groupe de hackers Hive. Ce dernier a fini par rendre accessible environ 25% des données piratées à la suite de la décision de la société de Patrick Drahi de ne pas payer la rançon qu’il réclamait.

«Nous ne sommes pas censurés sur le passé… mais sur l’avenir» Reflets.info

Reflets.info devient l’une de premières victimes de la transposition en droit français de la directive européenne sur le secret des affaires. Selon la décision du Tribunal de commerce de Nanterre du 6 octobre, le site n’a pas à retirer les articles déjà publiés mais il lui est interdit d’en publier de nouveaux. Le média indépendant doit en outre verser 4500 euros au groupe de Patrick Drahi.
«Nous ne sommes pas censurés sur le passé… mais sur l’avenir», réagit Reflets.info. En somme, le tribunal juge sur le fond que la violation du secret d’affaires n’est pas réalisée, mais estime qu’elle pourrait l’être à l’avenir. Un risque qui justifierait une censure préalable…

«Gageons, poursuit le journal d’investigation, que cela se cantonne aux informations contenues dans les documents publiés par le groupe Hive» et donc, aux articles relatifs aux activités du milliardaire Patrick Drahi. Mais quid si l’information provient d’autres sources? Et si d’autres médias la diffusent? Le flou qui entoure la décision du tribunal fait ressurgir les pires craintes relatives à la liberté d’expression et au droit de savoir, s’inquiète Reflets.info.

En attendant la suite qui devrait se dérouler devant la Cour d’appel de Versailles, cette procédure a déjà coûté au site indépendant près d’un quart de son chiffre d’affaires. Et il lui en faudra d’avantage, environ 20’000 euros, pour mener à bien sa défense. Un appel à souscription a été lancé et marche très fort.

Appel collectif

Plus de cent médias indépendants, dont Le Courrier, et organisations de journalistes ont en outre signé un appel collectif «Drahi ne nous fera pas taire», en solidarité avec le journal attaqué et, surtout, pour défendre le principe du droit à l’information. Car «si sa décision venait à prospérer, c’est toute l’investigation économique qui pourrait disparaître. Impossible alors d’informer le public d’affaires telles que les Panama Papers, les Lux Leaks, les Malta Files, les Football Leaks, les Uber Files qui ont révélé d’immenses scandales d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent. Impossible d’enquêter sur la dette EDF, sur les filiales offshore de Bernard Arnault et LVMH, sur l’empire africain de Vincent Bolloré», avertissent les signataires.

Source : Le Courrier

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