JERÔME DUVAL

Journaliste

Wednesday, 22 January 2025

Une coûteuse addiction

Une coûteuse addiction

Source majeure de pollution, l’addiction aux engrais chimiques coûte également très cher, aussi bien pour les populations agricoles et les budgets publics qu’en termes d’impacts destructeurs.

Avec l’espoir d’augmenter les rendements, le recours à ces intrants a été multiplié par dix dans le monde depuis les années 1960, précise un récent rapport de l’organisation GRAIN et de l’Institute for Agriculture and Trade Policy (IATP) 1. Un emploi massif de plus en plus coûteux car désormais leurs prix flambent. Ceux des engrais auraient doublé, ou même triplé dans certains cas, en seulement deux ans. La guerre entre la Russie et l’Ukraine, gros exportateurs, contribue à cette inflation en limitant la fourniture et en faisant craindre une pénurie du gaz, matière première clé dans la fabrication des engrais azotés.

Autre facteur expliquant l’envolée des cours: les marges bénéficiaires des producteurs. Le marché mondial, d’une valeur de 200 milliards de dollars, est contrôlé par une poignée d’entreprises agro-industrielles qui imposent leurs prix. Pour illustrer cette concentration, rien qu’aux Etats-Unis, la firme Mosaic contrôlerait plus de 90% du marché national des engrais phosphatés.

Cinquante-sept milliards de bénéfices

Parmi les plus grandes entreprises du secteur, neuf d’entre elles (Nutrien, Yara, Mosaic, ICL Group, CF Industries, PhosAgro, OCI, K+S, OCP) devraient, au rythme actuel et dans l’attente de la publication de leurs résultats, engranger plus de 57 milliards de dollars de bénéfices en 2022, soit plus de deux fois le PIB du Sénégal. En hausse de 440% par rapport à 2020!

L’inflation pèse sur les réserves et les budgets publics des Etats importateurs qui ne peuvent plus subventionner le secteur à la hauteur de la demande. Déjà en octobre 2022, les Nations unies alertaient sur une possible pénurie alimentaire mondiale. La répercussion des coûts sur l’alimentation entraîne des risques de famine dans un monde qui compte déjà plus de 828 millions de personnes souffrant de la faim2. Le rapport cite l’exemple de la Zambie où le coût des engrais aurait contribué à une augmentation de 353% du prix des denrées alimentaires en une seule année3.

Réduire la dépendance

Source majeure de contamination des sols et des nappes phréatiques via les eaux de pluie, d’impacts sur la santé humaine et animale et de perte de biodiversité, les intrants chimiques constituent aussi l’une des principales causes du changement climatique. Un quarantième des émissions mondiales de gaz à effet de serre leur est attribué.

Plutôt que d’augmenter la production d’engrais chimiques en pleine crise énergétique et climatique, comme s’y sont engagés les dirigeants qui ont participé au Sommet sur la sécurité alimentaire mondiale des Nations unies en septembre dernier, le rapport recommande, au contraire, d’en réduire considérablement la dépendance. A l’opposé des intérêts des sociétés semencières – et de leur sélection végétale – qui dominent actuellement le marché mondial, de nouvelles initiatives paysannes montrent qu’une transition vers l’agroécologie, utilisant des semences sans ajouts chimiques, peut se développer sans sacrifier pour autant le rendement.

Agroécologie efficace

Au Mexique, 1617 agriculteurs et agricultrices converti·es à l’agroécologie faisaient état, en 2017, d’une baisse de leurs factures d’intrants et d’une augmentation de 30 à 50% des rendements. Au Malawi, les fermes qui utilisent des techniques agroécologiques augmentent leur productivité jusqu’à 80%. Cela permet, d’après GRAIN et IATP, de garantir une sécurité alimentaire tout en œuvrant à la sauvegarde du climat et à la restauration des sols. Pourtant, affirme le rapport, malgré ces nombreux avantages, l’agroécologie ne reçoit qu’une très faible part des financements publics accordés à l’agriculture.


Notes :

  1. «Le piège des engrais. Le coût croissant de la dépendance de l’agriculture aux engrais chimiques», GRAIN et IATP, novembre 2022.
  2. Donnée pour 2021 d’après le dernier rapport de la FAO sur «L’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde».
  3. En août 2022 par rapport à août 2021.

Source : Le Courrier

Share your comment :