Quand le privé privatise
Sous Emmanuel Macron, l’Etat français est devenu toujours plus dépendant des sociétés de consulting privées. Et si leurs conseils ne sont pas toujours avisés, ils sont en revanche très lucratifs.
Plus d’un milliard d’euros. C’est la somme que l’Etat français a dépensé en prestations à des cabinets de conseil pour l’année 2021. Joli pactole pour des tâches d’ordinaire réservées à l’administration publique et qui atterrit désormais dans le secteur privé. Le phénomène ne cesse de grandir et place de plus en plus de secteurs sensibles sous la coupe d’intérêts privés.
Ces cabinets d’habitude si discrets ont commencé à défrayer la chronique à l’automne dernier avec les révélations du Canard enchaîné puis de Politico sur le recours massif du gouvernement à ces entreprises pour gérer, à coup de millions d’euros, la crise du Covid-19. A la mi-mars, alors que la campagne électorale bat son plein, un rapport du Sénat et un livre, Les Infiltrés 1 ont relancé le débat. On y apprend ainsi que le recours au consulting a plus que doublé au cours du quinquennat d’Emmanuel Macron. Un président coaché et soutenu par… les consultants de McKinsey.
Cette «privatisation» partielle de la haute administration a certes pris son envol dès le mandat de Nicolas Sarkozy et la Révision générale des politiques publiques (RGPP). Réforme qui avait notamment conduit au non-remplacement d’un fonctionnaire parti à la retraite sur deux.
Mais c’est bien l’actuel président qui a ouvert l’âge d’or du consulting. De la réforme des aides au logement aux projets de révision des retraites et de l’assurance-chômage en passant par la mise en place du «passe sanitaire», les cabinets de conseil sont intervenus sur la plupart des grands chantiers de la République en marche. Une stratégie de sous-traitance qui pèse désormais un montant équivalent au budget du Ministère de la culture.
Au terme de quatre mois d’investigation, la commission sénatoriale d’enquête qualifie cette externalisation de «phénomène tentaculaire» au cœur des politiques publiques. Un mécanisme bien huilé qui siphonne le savoir-faire de l’administration, donnant lieu à une relation de dépendance de la collectivité à l’égard de ces acteurs privés. Le rapport s’interroge dès lors quant à l’affaiblissement de l’Etat, à l’abandon de sa souveraineté et au coût que cela implique pour une efficacité, elle aussi, questionnable.
«Ces cabinets aident l’Etat à suppléer les carences qu’ils ont eux-mêmes contribué à organiser» Matthieu Aron et Caroline Michel-Aguirre
«Notre premier constat est celui de l’opacité. Même l’Etat n’a pas de vision globale sur ses commandes aux cabinets de conseil», remarque la rapporteuse de la commission d’enquête, Eliane Assassi. Cette privatisation rampante des services de l’Etat se tisse loin de la presse, dans les couloirs feutrés des ministères ou de l’Elysée. Il s’agit pourtant de décisions relevant de l’intérêt public. Des données parfois sensibles, voire afférant aux domaines régaliens (le Ministère des armées concentre 18% des dépenses stratégiques de conseil en 2021), atterrissent dans les dossiers de compagnies privées étrangères. Le rapport relève que les cabinets peuvent être sollicités pour leur expertise technique, même lorsque les l’Administration dispose de compétences en interne.
Au final, l’Etat paie pour être incité à rogner des budgets et pour que «ces mêmes cabinets l’aident à suppléer les carences qu’ils ont eux-mêmes contribué à organiser», écrivent les auteurs du livre Les infiltrés.
Source : Le Courrier
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