Comment les espèces envahissantes menacent-elles la biodiversité et l’économie ?
1 288 milliards de dollars entre 1970 et 2017. Le coût exorbitant lié à la lutte contre la prolifération et les dégâts provoqués par les espèces envahissantes ne cesse de progresser. Déplacées dans le monde entier, hors de leur écosystème d’origine, ces espèces bouleversent la biodiversité et ruinent les économies. Une équipe de chercheurs sonnent l’alarme.
Plantes, insectes, oiseaux, poissons, mollusques, micro-organismes ou encore mammifères. Rien qu’en Europe, près de 5 000 espèces envahissantes sont dénombrées. Les moules zébrées d’Europe de l’Est, par exemple, dont les larves microscopiques ont pénétré les voies navigables canadiennes dans les années 1980, avant de se propager au Canada et aux États-Unis, causent des centaines de millions de dollars de dégâts chaque année aux centrales électriques et aux usines de traitement des eaux. À Hawaï, la gêne occasionnée par le chant perçant de la grenouille coqui déprécie la valeur immobilière de terrains et a une incidence sur l’industrie hôtelière.
Au Kenya, l’introduction de l’écrevisse américaine dans le lac Naivasha a provoqué une perte de végétation et entraîné – couplé à la baisse du niveau d’eau pour alimenter la production de fleurs dans de grandes serres -, une chute de la pêcherie. En Afrique de l’Est, la perche carnivore du Nil introduite dans le lac Victoria dans les années 1950, a décimé plus de 200 espèces de poissons.
En Australie et aux États-Unis, la petite fourmi de feu est responsable de l’hospitalisation de plus de 100 000 personnes par an. En Europe de l’Ouest, l’ambroisie, une mauvaise herbe au potentiel de dissémination important, contamine les champs et affecte la santé avec son pollen très allergène. Les exemples des dégâts, sur terre ou dans l’eau, engendrés par des espèces déplacées volontairement ou non par l’homme, sont multiples. Ils affectent la santé, la foresterie, l’aquaculture, l’horticulture ou l’agriculture et se chiffrent en milliards de dollars.
« Les invasions biologiques sont l’une des plus grandes causes de perte de biodiversité. Mais pourtant les décideurs n’ont pas encore pris conscience de ce facteur », s’inquiète Franck Courchamp, directeur de recherche au CNRS et au laboratoire Écologie systématique et évolution à l’Université Paris-Saclay. L’écologue est à l’origine d’une étude publiée fin mars dans la revue Nature consacrée aux espèces envahissantes, qui s’appuie sur l’analyse de milliers de matériaux existants, rassemblés, classés et comparés au sein de la base de données InvaCost. Et ses conclusions sont alarmantes. « Cette étude démontre que les invasions biologiques sont une réelle menace pour les sociétés humaines. Le danger ultime se pose sur la biodiversité. L’argent est un prétexte pour ouvrir les yeux sur cette menace », insiste Franck Courchamp.
Des coûts en constante augmentation
En constante augmentation depuis 1970, ces coûts, exacerbés par la mondialisation et les changements climatiques, doubleraient tous les six ans, précise l’étude, pour atteindre 163 milliards de dollars rien qu’en 2017. Ils sont néanmoins largement sous-estimés, car les chercheurs ne disposent de données que sur moins de 10% des espèces concernées. Cette augmentation exponentielle des coûts s’explique par la présence de plus en plus importante d’espèces invasives, par leurs impacts grandissants sur l’activité humaine et par les mesures plus fréquentes qui viennent alimenter la base de données.
Toutes les régions ne sont pas au même niveau non plus, explique le directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), Rodolphe Gozlan, ayant également participé à ces travaux : « Les pays qui ont le plus de moyens (en Europe, aux États-Unis ou en Australie) ont investi plus dans la gestion et le contrôle de ces impacts liés à ces espèces. » À l’inverse, en Afrique, les coûts associés à ces invasions ne sont pas évalués, parce qu’il n’y a pas les moyens pour gérer cette problématique. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne sont pas aussi importants qu’ailleurs. De plus, si les conséquences peuvent être dramatiques, une perte de biodiversité n’est pas toujours quantifiable économiquement.
Pour Rodolphe Gozlan, « nos modèles économiques ne prennent jusqu’à maintenant pas en considération ces coûts. Avoir une numérisation de l’impact économique qu’ont ces déclins de biodiversité liés à l’introduction d’espèces invasives permet de les repenser. » Il poursuit : « On est dans une planète de plus en plus perturbée. On commence à voir dans les instances internationales la prise en considération que la santé est à prendre de façon globale. La santé humaine, animale et des écosystèmes, c’est une seule et même facette. Prendre en compte les coûts du déclin des biodiversités ou des impacts environnementaux de certaines pratiques permet à un moment donné de refacturer la valeur de la nature dans nos modèles économiques, qui est l’alpha et l’omega de nos politiques ces 30 ou 40 dernières années. »
D’après le rapport des experts de l’ONU sur la biodiversité de 2019 – rédigé par la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) – ces espèces envahissantes figureraient parmi les cinq principales causes de la destruction de la nature, derrière l’exploitation directe des terres et des ressources, le changement climatique et la pollution.
Source : RFI
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